Aller parce qu'elle m'a bien fait sourire et que l'esprit est toujours là je vous post la nouvelle d'intro du bouquin
Au sujet de lA bite
« Car la Parole de Dieu est vivante
et efficace, et plus pénétrante que
nulle épée à deux tranchants… »
Hébreux 4:12
Il sentait presque toujours la bière ou le vin.
Il parlait avec autorité. Et bien qu’il n’abordât
pour ainsi dire jamais aucun sujet personnel,
j’ai cru comprendre qu’il avait tenu un poste
important avec des responsabilités. Il avait une
obsession autours du pénis. « Ah ça la bite, de
tout ce que j’ai fait, c’est tout ce qu’on retiendra
de moi ! Ça j’en suis sûr ! » Il ne tenait pas en
place sur le divan et se tournait régulièrement
vers moi, ce qui ne manquait pas de m’irriter.
« Vous savez aux oiseaux, j’voulais pas leur en
donner une bite ! J’me disais, la bite c’est une
vraie bonne idée, mais faut pas en abuser. Mais je
ne sais plus quel sous-fifre a insisté. Et j’ai cédé.
J’ai été faible, la voilà la vérité. J’ai filé une bite
aux canards. Et ça je l’ai toujours regretté vous
savez ? » Sur une tirade de ce genre, il finissait
par pleurer, des larmes sincères exprimant une
profonde détresse. Dépression, avec construction mégalomaniaque. Ni beau à voir, ni facile à
soigner. Je lui tendais la boîte de Kleenex. Il se
mouchait. Et c’était reparti sur les bites.
Il était aussi ponctuel qu’un coucou suisse. Tous les
jours à onze heures, il était sur le divan de mon
cabinet et moi, assis derrière lui, j’écoutais avec
bienveillance ses divagations. C’était un patient qui
ne manquait ni d’humour, ni d’imagination. Il était
misogyne aussi, mais raisonnablement disons.
Il évoquait parfois les « gros nichons » en faisant
rouler les r, et en tendant les mains comme pour
en tripoter avec délice une paire imaginaire. Il avait
un truc avec les Juifs aussi. Mais rien d’aussi récurrent et obsessionnel que le phallus.
En tout cas nous avions notre petite routine.
Une demi-heure après le début de la séance,
j’y mettais traditionnellement fin en disant
quelque chose comme « Je pense que c’est bon
pour aujourd’hui… ». Il se levait, me tendait les
soixante-dix euros, me serrait la main et partait tête basse. Parfois il se tournait vers moi
avec un regard infiniment désespéré. Il lâchait
un dernier mot pathétique comme « Pardon ».
Je hochais la tête, toujours bienveillant et il
partait, pour de bon cette fois. J’ai été désolé
d’apprendre sa disparition.
Au cours de la dernière séance à laquelle il s’est
présenté, il s’était montré particulièrement agité
et sur la défensive : « Si vous pouviez faire ce
que vous vouliez, hein ? Tout ce que vous vouliez, hein ! Vous feriez quoi, hein ? Moi j’ai fait
la bite ! C’est déjà pas mal non, hein ? Mais j’ai
fait plein d’autres trucs, hein ! J’ai même TOUT
fait en réalité ! Tout ! O.K., y en a qui m’ont
aidé… mais ceux qui m’ont aidé, hein, c’est qui
qui les a faits ? C’EST MOI ! C’est moi qui les ai
faits ! Alors qu’on me la raconte pas, hein ! C’est
comme si j’avais tout fait pas vrai ? Ha ! Mais le
seul truc important c’est quoi, hein ? »
Comme je sentais qu’on allait immanquablement
en revenir à la bite, j’essayais de l’orienter vers
un autre sujet, mais il l’a mal pris. Il s’est levé,
m’a secoué en m’attrapant par la veste : « C’estla-bite-le-plus-important, vous comprenez ? J’ai
TOUT conçu autour de la bite. Tout ce que vous
voyez, hein ! Les étoiles ? À quoi ça servirait
les étoiles s’il n’y avait pas la bite ? La bite c’est
la pierre de voûte de toute ma création ! Vous
en êtes content de votre bite ? Alors ? Hein ?
Merde quoi ! » Je ne pouvais pas le laisser partir
dans cet état. J’ai essayé de le faire revenir à un
calme relatif, et je l’ai orienté vers un service
d’urgence psychiatrique. La suite de l’histoire,
vous la connaissez probablement mieux que moi.
Quelqu’un à l’hôpital Mignot m’a appris qu’il
s’était échappé de leur établissement. Il aurait
laissé une note disant en substance : « Faites
comme si que je n’existais pas ». Et non, il n’a
pas essayé de me contacter. Je n’ai plus eu de
ses nouvelles depuis. Il est difficile d’évaluer sa
dangerosité. Il est très possible qu’il se montre
agressif envers autrui. Il parlait souvent de « Tout
casser » ou de « Tout faire péter ». Mais pour
moi l’hypothèse la plus probable, c’est qu’il a simplement mis fin à sa triste existence. Pour quel
service de police vous enquêtez exactement ?